Lot n°70

Le saint Jean de Calvaire de l’église de Flavigny-sur-Ozerain (Côte d’or)

Adjugé 200 000 €
Nez restauré anciennement , quelques manques notamment à la terrasse)

Provenance :
- collection privée d’un commerce d’antiquités, en activité de 1807 à 2004, Edimbourg (Ecosse), puis de 2004 à octobre 2012, chez un descendant de cette famille d’antiquaires ;
- collection privée, Edimbourg (Ecosse)

Bien qu'ayant perdu sa polychromie ancienne, ce saint Jean est celui qui faisait pendant à la Vierge de Calvaire de Flavigny-sur-Ozerain (fig. a). La nature du bois, ses dimensions, son style, sa qualité d'exécution, la similitude des drapés, tous ces éléments en font une œuvre jumelle visiblement issue du même atelier et taillée par un même ciseau. Le profil de la terrasse à pans constitue à lui seul une signature commune avec son dessin bien particulier – une plate-bande suivie d'un cavet et d'un mince filet – que l'on retrouve à l'identique sur la terrasse de la Vierge (fig. b). On observe également en-dessous, au centre de chaque terrasse, l'emplacement d'un goujon d'un même diamètre.

L'attitude du personnage est celle adoptée par plusieurs saints Jean de Calvaire de l'école bourguignonne de la première moitié du XVesiècle, celui de Prémeaux (Côte d'or), de Salins-les-Bains (Jura), de Poligny (Jura) ou encore d'un autre saint Jean, plus tardif, également de Flavigny. 

La Vierge conservée à l'église Saint-Genest de Flavigny-sur-Ozerain, à laquelle le saint Jean présenté ici faisait pendant, a été maintes fois étudiée par les historiens d'art et a fait l'objet de plusieurs publications (fig. c). Dès 1926, elle est longuement citée par Henri Drouot dans son article sur les "Figures bourguignonnes de Calvaires". Etablissant sa parenté avec celle de l'église Saint-Marcel de Prémeaux, qui adopte pareillement le voile en capuchon et les bras croisés sur la poitrine, l'auteur en déduit une inspiration commune, celle qu'aurait exercée le calvaire de la Chartreuse de Champmol aujourd'hui détruit. Retrouvés parmi les fragments de ce calvaire, des avant-bras croisés féminins, longtemps attribués à Marie, venaient à l'appui de cette hypothèse qui a été reprise par d'autres historiens d'art comme Pierre Quarré ou Virginie Barthélémy. Or une récente étude de Susie Nash démontre que seule Marie-Madeleine figurait au pied de la croix de la Chartreuse et que ces avant-bras sont ceux de la sainte embrassant le stipe.

Il est cependant certain qu'une Crucifixion, aujourd'hui disparue, accompagnée de la Vierge et de Jean, réalisée par Claus de Werve ou issue de son atelier, a inspiré les sculpteurs bourguignons comme semblent en témoigner les figures de saints Jean citées plus haut qui se réfèrent visiblement à un modèle commun. On ne peut exclure alors, au regard de la qualité et de la pureté de style de la Vierge de Flavigny et du saint Jean proposé ici, que ce fameux Calvaire ait été peut-être celui qu'ils formaient à l'origine avec le Christ qui reste à trouver et identifier. La commande de ce groupe, dont la hauteur totale avec la croix devait avoisiner les deux mètres, entièrement polychromé et doré, n'a pu émaner que d'une abbaye ou d'un chapitre jouissant d'une certaine prospérité         .

La Vierge comme le saint Jean sont enveloppés d'un lourd manteau dont les plis souples et épais sont typiques de la statuaire funéraire bourguignonne de la première moitié du XVème siècle. Revenant parfois en capuchon sur la tête et allant même jusqu'à dissimuler le visage, cet habit qui symbolise la douleur appartient à la garde-robe des cortèges qui accompagnaient les obsèques des hauts personnages. Les pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne, ceux de Philippe le Hardi (réalisés entre 1384 et 1410) et ceux de Jean sans Peur (réalisés entre 1443 et 1457), en sont les représentations iconiques. Les drapés de toutes ces statuettes, bien que jamais identiques, dérivent du style slutérien. Claus de Werve, appelé en 1396 des Pays-Bas méridionaux par son oncle Sluter pour le seconder à Dijon,  est l'auteur de la quasi-totalité des pleurants de Philippe le Hardi ; il a ainsi décliné toutes les attitudes d'affliction imaginables en variant les drapés des tissus, parfois simples, parfois plus complexes, mais en leur imprimant toujours cette lourdeur empreinte de moelleux et de virtuosité toute caractéristique. Les pleurants du tombeau de Jean sans Peur, bien que réalisés plusieurs dizaines d'années après ceux de son père par deux autres sculpteurs, Jean de la Huerta et Antoine Le Moiturier, reproduisent le même cortège funéraire. Certains pleurants sont même des "copies littérales" de ceux de Philippe le Hardi. Il est possible d'établir des rapprochements entre les drapés du manteau du saint Jean et ceux de plusieurs pleurants ayant fait l'objet des expositions de ces dernières années, notamment au musée de Cluny, comme avec le pleurant n°60 qui tient aussi les mains jointes (fig. d) ; de même que l'on retrouve ce large pli de forme cintrée dans le dos sur les pleurants n°55 et n°68 (fig. e et f).

Le saint Jean en noyer proposé ici, inédit à ce jour, constitue une véritable redécouverte. Il appartient sans conteste au style slutérien, incarné par les sculptures de Claus de Werve, de son atelier et de ses suiveurs. L'omniprésence laissée à la plastique du drapé en est bien sûr la caractéristique première mais aussi les traits du visage. On retrouve notamment les larges pommettes, les yeux fendus, les arcades légèrement froncées, jusqu'à l'expression mêlée de douceur et de commisération, sur le visage  du saint Jean l'Evangéliste de Beaume-les-Messieurs (Jura) attribué à un sculpteur travaillant dans l'ombre de Claus de Werve (fig. g). Il est toutefois difficile de proposer une datation très précise. La Vierge de Flavigny a été située dans un XVème siècle plutôt avancé par Drouot cependant que Virginie Barthélémy la place au début du XVème dans l'exposition de 2004 sur "L'art à la cour de Bourgogne". La typologie des drapés se dessine déjà, dès les années 1400/1410, dans la statuaire de la Chartreuse de Champmol ; elle a évolué durant les décennies suivantes vers une plastique simplifiée tout en conservant le même vocabulaire.

Cette sculpture se trouvait depuis plusieurs générations en Ecosse et il semble qu'elle ait passé la Manche depuis très longtemps. Elle n'est documentée nulle part en France et son existence n'a jamais été évoquée par les historiens d'art. La patine profonde du noyer ciré donne à penser que le décapage très soigneusement exécuté de sa dorure et de sa polychromie remonte à de nombreuses décennies. Ce travail effectué par un professionnel correspond à une mode du bois naturel qui a sévi depuis le XIXesiècle dans le monde des collectionneurs. C'est ainsi que nombre de saints et de retables  flamands ou allemands nous sont parvenus sans aucune trace de leurs riche ornementation. Ces sculptures de calvaires ont été également victimes de démembrement et, ce, avant la période révolutionnaire. En témoigne l'histoire du groupe de Prémeaux mutilé par les chanoines au milieu du XVIIIe siècle qui a perdu pour toujours son Christ.

Il faut donc saluer la chance qu'il nous est donné aujourd'hui qu'une œuvre de cette importance – que tout destinait à être cédée hors de notre pays – puisse être proposée à Paris donnant ainsi une possibilité plus aisée de reconstituer un ensemble emblématique de la sculpture bourguignonne. Il n'est pas assuré pour autant que cet objectif puisse être atteint dans la mesure où de l'importation récente de la sculpture résulte l'interdiction de la retenir sur le territoire français. Espérons toutefois que la Vierge de Flavigny-sur-Ozerain retrouvera son saint Jean et, qui sait, plus tard, son Christ…

 

Ouvrages consultés : H. Drouot, "Figures bourguignonnes de Calvaires" dans Revue de l'art, 49, 1926, 151-159 ; J. Boccador, Statuaire médiévale en France de 1400 à 1530, éd. Les Clefs du Temps, 1974 ; Dijon, 1976, Claux de Werve et la sculpture bourguignonne dans le premier tiers du XVesiècle, musée de Dijon, cat. P. Quarré ; M. Beaulieu, V. Beyer, Dictionnaire des sculpteurs français du Moyen Age, Paris, 1992 ;  J. Baudoin, La sculpture flamboyante en Bourgogne et Franche-Comté, Nonette, 1996 ; M. Jannet-Vallat, F. Joubert, Sculpture médiévale en Bourgogne – Collection lapidaire de Musée archéologique de Dijon, Dijon-Quetigny, 2000 ; Dijon-Cleveland, 2004-2005, L'art à la cour de Bourgogne, musée des Beaux-Arts, The Cleveland Museum of Art, cat. ; Dole-Poligny, 2007, La sculpture du XVe siècle en Franche-Comté de Jean sans Peur à Marguerite d'Autriche (1404-1530), musée des Beaux-Arts-Collégiale Saint-Hippolyte, cat. ; S. Nash, "Claus Sluter's 'Well of Moses" for the Chartreuse de Champmol reconsidered : part III" dans The Burlington Magazine, CL, novembre 2008, pp.724-741; F. Baron, S. Jugie, B. Lafay, Les Tombeaux des ducs de Bourgogne, éd. Somogy, 2009 ; New York- … - Paris, 2010-2013, Les pleurants des tombeaux des ducs de Bourgogne, musée de Cluny, cat. S. Jugie.


 

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Saint Jean de Calvaire en noyer sculpté en ronde-bosse avec infimes traces de polychromie.

Debout, la jambe gauche avancée et fléchie, les mains jointes devant la...">

Saint Jean de Calvaire en noyer sculpté en ronde-bosse avec infimes traces de polychromie.

Debout, la jambe gauche avancée et fléchie, les mains jointes devant la...

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calendrier 07/06/2013 00:00
PIASA 7 juin 2013

Paris, hôtel Drouot, salle 14

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