Buste de jeune homme, portrait présumé de l’un des fils de saint Louis : Philippe III le Hardi ou Louis, prince héritier
Adjugé €Bibliographie :M. Aubert, Comptes rendusdans Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, avril -juillet, 1934, séance du 8 juin, p 176
M. Aubert dans Bulletin de la Société des Antiquaires de France, 1939-40, p15
M. Beaulieu, ″Une tête d’ange provenant du prieuré royal de Saint-Louis de Poissy″ dans Monuments Piot, 1953, t. XLVII, p 176
Exposition Paris 1960, sous la direction de Jacques Monicat, ″Saint Louis à la Sainte Chapelle″, Sainte Chapelle, n°183, pl.33
A. Erlande-Brandenburg, ″Le tombeau de saint Louis″dans Bulletin Monumental, 1968, volume 126, numéro 1, p 22
Une effigie de l’un des fils de saint Louis ?
Cadre historique :
Afin de commémorer la canonisation de son grand-père, Philippe IV le Bel prit la décision de fonder un monastère de Dominicaines à Poissy, ville où était né saint Louis et où il avait été baptisé en 1244. La construction de l’église du prieuré royal commença en 1297. Bien que poursuivis jusqu’en 1331, les travaux pour l’essentiel étaient achevés dès 1304. L’église priorale connue un grave incendie dû à la foudre en juillet 1695 provoquant l’effondrement des voûtes et des combles. Sur ordre de Louis XIV, Jules Hardouin-Mansart est chargé de sa reconstruction qui se fit dans le style gothique. Transformé en hôpital lors de la Révolution, l’édifice fut ensuite vendu à un démolisseur qui dispersa ses matériaux auprès des entrepreneurs de la région. Du fait de sa fondation royale, l’église priorale fut dotée d’un riche programme ornemental. On ne sait pas si la statuaire fut affectée par la catastrophe consécutive à l’incendie, cependant des dessins exécutés auparavant dans le courant du XVIIe siècle pour Roger Gaignières nous donnent une idée d’une partie de son décor intérieur. Celui du transept, seul endroit de l’église accessible aux fidèles, était dévolu à la glorification de saint Louis et de sa famille. C’est ainsi que des statues du roi et de sa femme, Marguerite de Provence, étaient placées de part et d’autre du jubé des religieuses. Grâce à un dessin, on sait qu’à la partie inférieure du mur de fond du bras occidental, opposé à l’entrée, se détachaient, sur des draperies peintes, les enfants royaux (Louis 1240-1260, Philippe 1245-1285, Jean-Tristan 1250-1270, Isabelle 1242-1271, Pierre v.1251-1383, Robert 1256-1318) (fig.a). On suppose que les autres enfants du couple, quatre filles et Jean mort peu après sa naissance, devaient se trouver dans le bras oriental, au revers du portail de la priorale. Seules les effigies d’Isabelle de France visible à Poissy et celle, acéphale, de Pierre conservée au musée de Cluny ont été jusqu’ici retrouvées (inv. Cl.23408).
Iconographie :
Le personnage représenté est visiblement un personnage civil, aucun détail vestimentaire, attribut, auréole ne venant indiquer la figuration d’un saint. L’homme est jeune, imberbe, avec des traits pouvant faire penser à un portrait bien que très idéalisés ; rien ne permet de l’identifier. On peut cependant supposer que ce personnage était d’une haute lignée pour justifier la réalisation d’une sculpture à la taille hors norme. Celle-ci devait en effet avoisiner, voire dépasser, 180 cm par extrapolation de la hauteur du buste.
Matériau :
Un échantillon de pierre, prélevé sous la sculpture, a été examiné par Annie Blanc, géologue :
″Calcaire fin, sans fossiles, avec de très petites vacuoles aux contours géométriques, en forme de losanges (rhomboèdres), ce qui indique une présence de dolomie qui a disparue depuis. Je ne connais ce faciès que dans la craie qui est plus blanche. Si la couleur jaune provient de la patine, la pierre pourrait provenir des carrières de Vernon (Eure). Cette craie dure a été utilisée en sculpture à Paris et à Poissy, en particulier pour les anges de Poissy qui sont au musée de Cluny et pour les statues de l’église d’Ecouis.″
Epoque :
La typologie du visage, celle de la chevelure ainsi que la sobriété du manteau à la simple encolure arrondie attaché sur l’épaule droite par une agrafe sans décor amènent à placer la réalisation de cette sculpture entre l’effigie du tombeau de Charles Martel (Collégiale de Saint-Denis) datant de 1264-1267 et la statue en pierre polychrome présumée représenter saint Louis (église de Mainneville) située au début du XIVe siècle.
Etat de conservation :
Ce buste, partie supérieure d’une œuvre de grande taille, a été scié à une époque très ancienne compte-tenu de l’érosion de la base au dos dont le profil est très usé. La sculpture ou cette partie de la sculpture semble avoir été longtemps conservée à l’extérieur. On sait ensuite que cette tête a été incluse dans la maçonnerie d’une maison de Poissy, vraisemblablement dans le courant du XIXe siècle à la suite du dispersement des matériaux auprès des entrepreneurs de la région. L’épiderme est érodé en surface, particulièrement sur le visage où l’on remarque quelques cavités, certaines rebouchées lors d’une intervention de restauration, notamment à la paupière inférieure de l’œil gauche, à la joue droite et au front. Il manque une partie du rouleau à l’extrémité de la chevelure, côté gauche de la tête, ainsi qu’à l’arrière. On note ainsi la présence, à l’arrière du cou, de restes de picots métalliques témoignant d’une ancienne restauration.
Bibliographie :
Ce buste a été mentionné à plusieurs reprises dans différentes publications, bulletins de sociétés savantes ou catalogue d’exposition :
1934 - Académie des Inscriptions & Belles-Lettres, Comptes rendus, avril-juillet, 1934, séance du 8 juin, p 176
Marcel Aubert, conservateur au musée du Louvre :
« … une tête en pierre du début du XIVe siècle, figurant un jeune homme aux traits fortement marqués, qui appartient à M. Maurice Denis et provient de Poissy. Il [Aubert] établit qu’elle est celle d’un des fils de saint Louis sculptés en pierre, de grandeur nature, au fond du bras nord du transept de l’église Saint-Louis de Poissy, Philippe, qui devint Philippe le Hardi, figuré sous les traits du souverain alors régnant et qui commanda l’ensemble de la décoration de Saint-Louis de Poissy, Philippe le Bel, dont les traits sont bien connus par la statue funéraire de Saint-Denis. »
1939-40 – Bulletin des la Société des Antiquaires de France, p151 :
Marcel Aubert :
« … présente une tête de jeune homme, en pierre, de la collection Maurice Denis, et montre qu’elle provient de l’ancienne église des Dominicaines de Poissy et représente Philippe le Hardi enfant, sous les traits rajeunis du souverain régnant, Philippe le Bel, qui, dans les premières années du XIVe siècle, fit construire et décorer cette église en l’honneur de son aïeul saint Louis. »
1953 – Monuments Piot, ″Une tête d’ange provenant du prieuré royal de Saint-Louis de Poissy″, t. XLVII, p 176
Michèle Beaulieu, conservateur au musée du Louvre :
« Le buste de la statue de Philippe le Hardi fait partie de la collection de Mlle Bernadette Maurice Denis »
1960 – Exposition Paris, Saint Louis à la Sainte-Chapelle, Sainte Chapelle n°183, pl.33
Sous la direction de Jacques Monicat, conservateur en Chef aux Archives Nationales :
« Buste de Philippe le Hardi. Début XIVe. Ce morceau, découvert dans la démolition d’une maison de Poissy, provient de l’une des statues exécutées sous l’ordre de Philippe le Bel pour l’église du Prieuré des Dominicaines de Poissy. [….] Cette tête de Philippe le Hardi jeune a sans doute été recomposée par l’artiste, d’après le beau masque funéraire du roi, œuvre de Pierre de Chelles et Jean d’Arras, que l’on voit à son tombeau de Saint-Denis (exécuté de 1298 à 1307, fig.b) »
1968 – Bulletin Monumental, ″Le tombeau de saint Louis″, volume 126, numéro 1, p 22
Alain Erlande-Brandenburg, conservateur en chef du musée de Cluny :
« Il en est de même pour le buste de la collection Maurice Denis, que Marcel Aubert a identifié, sans grande preuve selon nous, avec la statue de Philippe le Hardi. »
Conclusion :
Bien que contestée par M. Erlande-Brandenburg, l’hypothèse que ce buste, fragment d’une importante effigie en pied, soit la représentation de Philippe III le Hardi, quatrième enfant de saint Louis, ne peut pas néanmoins être totalement exclue.
Marcel Aubert, historien d’art et conservateur réputé, a plusieurs fois présenté cette tête comme celle de Philippe III le Hardi, en 1930 et cinq ans plus tard. Une quinzaine d’années après, Michèle Beaulieu, également conservateur au musée du Louvre, n’a pas mis en doute cette identification En outre, on ne peut que constater la similitude frappante des traits de ce jeune homme avec ceux du gisant de Philippe III le Hardi conservé à Saint-Denis (fig. c)
Cependant, une autre identification peut être avancée. Dans l’hypothèse où il s’agirait bien d’une des statues représentées sur le dessin du XVIIe siècle et étant entendu qu’elles étaient rangées par ordre de taille décroissante, il pourrait également s’agir de Louis. Le premier fils de saint Louis était en effet placé à l’extrême gauche et était donc la sculpture la plus haute de la série. Dans le cas d’une identification à Philippe III, cela conduirait à admettre que la statue de son frère ainé devait être encore plus importante, c’est-à-dire dépasser sensiblement 180 cm ; ce qui en ferait alors l’égal des grandes statues en pied de Charles V et de Jeanne de Bourbon destinées, quant à elles, à orner un portail ou une façade de palais. L’autre argument qui viendrait étayer cette hypothèse est le rapprochement plus étroit que l’on peut établir entre le dessin représentant Louis et ce buste de la collection Maurice Denis. La chevelure mi-longue du fils ainé est davantage conforme à celle du personnage, à la différence de celle, courte, de Philippe (fig.d et fig.e). Les historiens d’art, conservateurs ou archivistes semblent, en avançant l’hypothèse de Philippe III le Hardi, s’être essentiellement fondés sur la similitude des traits du buste avec ceux du gisant du roi, en effet troublante. Ceci semble en contradiction cependant avec ″ce portrait de famille″, le premier du genre dans la sculpture française. Les préoccupations du commanditaire n’étaient pas de représenter fidèlement cette fratrie dont les membres n’étaient plus vivants - hormis Robert - au moment de l’exécution du groupe. Décédés à 29 ans pour Isabelle, 16 ans pour Louis, 40 pour Philippe, 20 pour Jean-Tristan et 23 ans pour Pierre, ils sont tous figurés comme d’éternels adolescents. La notion de portrait n’était pas encore dans la pensée de l’époque et il faut voir dans la physionomie du gisant de Philippe le Hardi, avec ses arcades sourcilières bien dessinées, son menton carré, sa bouche largement fendue, son cou aux muscles saillants, une tradition idéaliste du pouvoir souverain renouvelée seulement par une certaine volonté d’individualisation. L’exécution du buste de la collection Maurice Denis semble ne pas provenir du même ciseau que celui de l’effigie d’Isabelle de France visible dans la collégiale de Poissy. Ceci n’est guère surprenant compte-tenu de l’imposant programme statuaire, réalisé en quelques années, qui n’a pu être confié qu’à plusieurs artistes. On relève également dans le fameux ensemble des ″Anges de Poissy″, au nombre de sept, réputés provenir de la priorale, d’évidentes différences tant dans la qualité d’exécution que dans leur état de conservation.
L’érosion en surface de la pierre, les dépôts noirs dus à la pollution - voire peut-être à l’incendie qui a ravagé l’église de Poissy en 1695 -, les quelques accidents et petites restaurations ont quelque peu altéré la physionomie de ce buste. Il demeure qu’il s’agit de l’œuvre d’un grand sculpteur, peut-être de l’entourage de Jean d’Arras († 1298-1299) à qui on attribue le gisant de Philippe le Hardi. Il se dégage de cette figure de jeune homme, à la sortie de l’adolescence, une expression de douceur juvénile d’une grande sensibilité. Il est alors compréhensible que Maurice Denis, habité par la spiritualité et nostalgique de la royauté, ait conservé auprès de lui cette image idéalisée de la jeunesse appartenant à un moment de grâce de l’art médiéval réalisée au lendemain de la canonisation du grand roi qui était Louis IX.
Ouvrages consultés (hormis la bibliographie) : M. Beaulieu et V. Beyer, Dictionnaire des sculpteurs français du Moyen Age, Paris, 1992 ; Exposition Paris 1998, L’Art au temps des rois maudits – Philippe le Bel et ses fils 1285-1328, Galeries nationales du Grand Palais, cat. ; Exposition Paris 2015, Saint Louis, Conciergerie, cat. ; A. Ritz-Guilbert, La collection Gaignières – Un inventaire du royaume au XVIIe siècle, Paris, 2016.
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Buste de jeune hommeen pierre calcaire sculptée en ronde-bosse, arrière de la tête seulement ébauché. Fragment d’une grande figure en pied coupée sous les...">
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